L’approche traditionnelle : le cloisonnement

Le principe a longtemps été celui du cloisonnement des responsabilités, entre ce qui était propre à un ouvrage et ce qui ne l’était pas.

On retenait que ne pouvaient relever de la responsabilité décennale que les désordres survenus sur un ouvrage, au cours de la réalisation de cet ouvrage, et non après.

Ainsi, dès qu’on dépassait le cadre de l’opération de réalisation de l’ouvrage, celui-ci devenait un « existant », et les éventuelles interventions postérieures ne pouvaient être qualifiées que de « travaux sur existants », insusceptibles en principe de recevoir eux- mêmes la qualification d’ouvrage.

Ces travaux sur existants étaient considérés comme ne pouvant faire l’objet que de la responsabilité contractuelle : ils n’appartenaient pas à l’opération de construction de l’ouvrage et en étaient distincts.

La Cour de cassation refusait fermement toute tentative d’assimiler ces menus travaux à des cas de responsabilité décennale, et l’expliquait logiquement :

D’une part, de manière très générale, ces menus travaux ne pouvaient pas se voir appliquer une responsabilité décennale puisqu’ils n’intervenaient pas sur un ouvrage, critère et condition sine qua none,

D’autre part, dans les cas où ces travaux impliquaient la pose nouvelle d’éléments d’équipements dissociables, la Cour de cassation considérait qu’il s’agissait d’éléments d’équipement dissociables qui n’étaient qu’adjoints à un ouvrage existant.

Elle l’avait ainsi retenu pour un système de climatisation adjoint à un ouvrage existant (Civ. 3ème, 10 décembre 2003, n°02-12.215) parfaitement dissociable de l’existant, mais aussi pour un revêtement d’isolation (Civ.3ème, 18 janvier 2006, n°04-17.888) appliqué sur de l’existant mais qui en soi, aurait pu être considéré comme indissociable (on retire plus facilement un climatiseur qu’un revêtement d’isolation).

Conséquences pratiques

Concrètement, cette position de la Cour Suprême avait deux impacts majeurs.

D’une part, la prescription était non pas de dix ans à compter de la réception, mais de cinq ans après la fin de la prestation.

La logique voulait en effet que seule la prescription quinquennale pouvait s’appliquer, puisqu’il s’agissait d’une responsabilité contractuelle fondée sur le droit commun.

D’autre part, en matière assurantielle, ces cas de responsabilité étaient rarement couverts et l’obligation assurantielle était moindre.

En effet, puisque cette responsabilité ne pouvait être décennale, l’entrepreneur qui limitait ses interventions à des éléments d’équipements dissociables ou qui ne concevait pas d’ouvrage, n’était plus obligé ni civilement, ni pénalement de souscrire une assurance décennale (qui de toute façon n’aurait jamais eu à s’appliquer).

On pensait la distinction bien établie, mais cette pratique du cloisonnement n’a pas réussi à résister à l’épreuve du temps puisqu’elle a été remise en question par l’évolution de la jurisprudence de ces dernières années.

D’abord, la jurisprudence a retenu une conception très large de la qualification d’ouvrage.

Ainsi, la notion d’ouvrage a été plus facilement retenue lorsque les travaux étaient importants, ou qu’ils étaient d’une envergure particulièrement.

Autrement dit, ce qui n’était pas considéré comme un ouvrage il y a quelques années l’est devenu au fur et à mesure du temps.

C’est pour cela que certains travaux sur existants ont pu être considérés comme un ouvrage propre à part, et donc ouvrir la voie à d’éventuels cas de responsabilité décennale.

Le risque de voir le cloisonnement remis en cause s’est accentué, jusqu’à prendre complètement effet avec une série d’arrêts apparus dès 2017.

La primauté de l’impropriété à destination de l’ouvrage

Par de très nombreux arrêts initiés par l’arrêt Civ.3ème, du 15 juin 2017, n°16-19.640, la Cour de cassation a totalement modifié la donne pour les existants.

La Cour a retenu que : « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ».

Ainsi, la Cour de cassation a reconnu qu’un élément d’équipement dissociable de l’existant sur lequel il était installé, pouvait être à l’origine d’une application de la responsabilité décennale s’il entraînait l’impropriété à destination de l’ouvrage en son entier.

En clair, un insert posé sur un existant est-il à l’origine d’un incendie qui détruit l’appartement ? La Cour de cassation retient que l’incendie a rendu l’ouvrage impropre à sa destination et considère qu’il s’agit d’un cas de responsabilité décennale (Civ.3ème, 20 avril 2017, 16-13.603 ; et confirmé récemment par Civ.3ème, 7 mars 2019, n°18-11.741).

Un simple revêtement de sol sur existant d’un lot commercial est affecté de désordres qui le rendent inesthétique ? La Cour de cassation considère que l’atteinte l’esthétisme est aussi une atteinte à la destination de l’ouvrage (Civ.3ème, 29 juin 2017, n°16-16.637).

Le remplacement d’un système de chauffage d’une habitation est établi comme « totalement inadapté » et « aberrant » par un expert judiciaire ? La Cour de cassation considère ici tout à l’inverse que cela ne rend pas l’ouvrage impropre à sa destination, l’inconfort ressenti n’étant pas de nature à rendre les lieux inhabitables (Civ. 21 mars 2019, n°18-12.442).

En fait, là où la Cour de cassation se fondait antérieurement sur des critères objectifs, elle s’est aujourd’hui saisie d’un critère subjectif, celui de l’impropriété à destination de l’ouvrage.

En effet, personne n’est aujourd’hui en mesure de dire ce qu’est ou ce que n’est pas l’impropriété à destination de l’ouvrage : tout dépend de l’appréciation qui en est faite, ce qui introduit un aléa supplémentaire dans chaque dossier ce qui est peu souhaitable.

On peut ainsi y déceler une volonté de la Cour de cassation d’étendre le champ d’application de la responsabilité décennale au nom de l’indemnisation nécessaire des victimes ce qu’une assurance obligatoire permet.

Conséquences assurantielles

La détermination d’une solution assurantielle proposée à un assuré dépend des réponses qu’il apporte à un questionnaire de déclaration du risque.

C’est à l’issue de ce questionnaire de déclaration du risque que l’assureur détermine l’aléa encouru, c’est-à-dire l’éventualité qu’un sinistre se manifeste ou ne se manifeste pas.

Cette étude du risque est réalisé sur la base de travaux statistiques, et sur l’historique de sinistralité de l’assuré, qui permettent de déterminer – fidèlement – l’aléa qu’accepte de prendre en charge l’assureur.

Or, en intégrant ce cas spécifique de responsabilité, on créée une difficulté supplémentaire.

En effet, si le risque n’est apprécié que par le coût des opérations habituelles menées sur les existants, c’est sous-évaluer les conséquences d’une impropriété à destination de tout l’ouvrage né d’un désordre sur cet existant.

A l’inverse, surévaluer par précaution le risque encouru par des travaux sur existants qui peuvent ne pas donner lieu à responsabilité, c’est engendrer une hausse des primes pour l’assuré dont le bénéfice ne serait pas immédiatement perçu.

On peut en définitive comprendre le souhait des magistrats de catégoriser des sinistres non-décennaux en décennaux, pour permettre une meilleure couverture assurantielle, mais c’est au détriment des entrepreneurs mal ou pas assurés, qui risquent d’apprendre à rebours qu’ils auraient dû souscrire une assurance de responsabilité décennale alors que leur corps de métier n’y prédisposait originellement pas.

Par application de l’article 1792 du Code civil, alinéa 1, « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit (…) des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs, ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. »

Le 2nd alinéa de l’article 1792 dispose qu’une telle responsabilité n’a pas lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère.

Après qu’une maison individuelle ait pris feu, à la suite d’un dysfonctionnement de la chaudière, le constructeur de maison individuelle a été condamné à indemniser le maître de l’ouvrage, par un jugement de première instance, confirmé en appel, au motif que le vice affectant la chaudière, élément d’équipement, n’était pas pour le constructeur de maison individuelle une cause étrangère exonératoire de responsabilité au sens de l’article 1792 du Code civil. C’est ce qu’a confirmé la Cour de Cassation, aux termes d’un Arrêt en date du 29 mai 2019.

Il s’agit de l’application d’une jurisprudence constante, la cause étrangère étant, par définition, un évènement imprévisible, extérieur et « irrésistible » (autrement dit insurmontable). Or, il a pu être jugé, à plusieurs reprises, s’agissant d’un vice de matériau, que nonobstant son caractère imprévisible, celui-ci n’était pas extérieur à l’ouvrage…

En résumé, on retiendra qu’un vice de matériau n’est jamais une cause d’exonération de responsabilité du titre de la garantie décennale. 

Comment éviter les tribunaux

Aujourd’hui, les entreprises doivent aller de plus en plus vite pour rédiger leur devis et pour exécuter leurs travaux. Un certain nombre de moyens sont proposés aux clients pour entraîner à tort ou à raison les entreprises dans la spirale des experts d’assurances ou des tribunaux. En effet, les consommateurs disposent très souvent d’une protection juridique d’assurance, ou appartiennent à un organisme de consommateur. A l’intérieur de ses associations ou de ces services juridiques, des juristes informent directement leurs adhérents et mènent ensemble des actions contre les entreprises. Il est donc nécessaire pour les entreprises de comprendre les mécanismes de l’expertise afin de modifier leur comportement.

Il y a donc plusieurs types d’expertise

1. L’expertise amiable privée (organisée par les plaignants), 2. L’expertise amiable organisée par les assurances,
3. L’expertise judiciaire civile et administrative.

Eviter les pièges et mieux se défendre est vital pour une entreprise de bonne foi. Pourtant, par méconnaissance au regard de ses obligations, elle est très souvent condamnée.

Principe : De l’expertise amiable (privée ou en assurance).

Contrairement à l’expert judiciaire, l’expert amiable est lié par contrat à la partie qui le désigne, ce qui a donné naissance à des controverses, notamment en matière d’assurances (domaine où le recours à l’expertise amiable est le plus fréquent) à propos de la nature de ce lien juridique et des obligations qui en découlent.

Déroulement de l’expertise amiable.
Comme en matière d’expertise judiciaire, la mission de l’expert est limitée à des questions techniques. Les experts consignent leurs constatations, observations et conclusions dans un rapport : l’expertise est close quand les experts ont remis leur rapport aux particuliers qui ont requis leurs avis.

Les règles strictes de l’expertise judiciaire ne sont pas applicables à l’expertise amiable, sauf en ce qui concerne la convocation des parties (NCPC, art. 160) et la présence des experts aux opérations (NCPC, art. 233).

En raison de la convention qui le lie aux parties, l’expert amiable peut voir sa responsabilité contractuelle mise en jeu en cas d’inexécution fautive du contrat.

Hormis cette hypothèse, il répond, en vertu de l’article 1382 du Code civil, aux conséquences des fautes dommageables qu’il commet dans l’exercice de sa mission. Sa responsabilité pénale peut également être engagée.

Principe : De l’expertise judiciaire civile et administrative

L’article 232 du Nouveau Code de procédure civile permet au juge de désigner toute personne de son choix pour l’éclairer sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien.

Le technicien est un auxiliaire de la justice et non le mandataire des parties : le juge n’est donc pas lié par le choix préalable des parties de telle ou telle personne.

Le technicien ou l’expert qui effectue la mission que lui confie le juge n’exerce pas une profession mais exécute un mandat de justice. Il n’est pas protégé par un statut professionnel : le juge n’est pas tenu de choisir un technicien inscrit sur une liste d’experts.

Pour faciliter le choix du juge, des listes d’experts sont établies chaque année. Il est dressé une liste par la cour d’appel et une liste nationale.

Bien que le juge puisse désigner un expert non inscrit, dans la quasi-totalité des cas, les experts choisis sont ceux qui figurent sur les listes.

L’expertise est contradictoire ou non contradictoire suivant qu’elle est pratiquée en présence de toutes les parties ou d’une seule des parties.

Malgré son caractère technique, l’expertise est par nature un acte judiciaire soumis aux règles qui régissent les procès civils. Pour être opposable aux parties, elle doit donc respecter le principe de la contradiction résultant de l’article 16 du Nouveau Code de procédure civile

Ceci oblige notamment l’expert à :

1. Convoquer les parties à l’expertise,
2. Procéder à la visite des lieux en leurs présences,
3. Mettre les parties à même de présenter leurs observations. 

Il est donc nécessaire pour éviter d’être pris dans l’engrenage de l’expertise (privée ou judiciaire) de bien préparer en amont les pièces de son marché.

Voici en 10 points les pièges à éviter

1. Le devis est un document contractuel qui permet de fixer ce que doit fournir l’entreprise. Il faut donc que ce document soit rédigé avec minutie sans oublier de détailler le prix de l’entreprise et le type de matériaux mis en œuvre. Le fait de détailler son devis peut éviter aux clients de remettre en question le travail réalisé par l’entreprise.

2. Le devis doit faire l’objet d’une attention toute particulière notamment en ce qui concerne les métrés et doit être le reflet exact des travaux à exécuter afin éviter toute contestation de la part du client. Ex : En peinture, les entreprises ont tendance à établir des devis de ravalement de façade « Vide pour plein ». Elles estiment que les tableaux, voussures et appuis en surface développés représentent le vide pour plein de la façade. C’est ce qu’on appelle « les habitudes de travail des entreprises ». Il est préférable dans ce cas de détailler la façade et le travail sur les tableaux, les voussures et les appuis en quatre postes bien distincts. Dans un devis, il est possible de remettre en cause les surfaces mais très rarement les prix sauf en cas d’abus manifeste.

3. Un certain nombre de conditions doivent être également inscrites au devis :

a. Délais d’exécution,
b. Délai de validité de l’offre, c. Mode de règlement,
d. Etc.

4.Pour que l’entreprise prétende au paiement des travaux, le devis doit impérativement être signé par le ou les clients et par l’entreprise et spécifier la mention : « Bon pour Acceptation ou Bon pour Accord ».

5. Lorsque le devis est signé et que les travaux sont engagés, il faut ensuite respecter le planning d’intervention prévu avec le client. Si l’entreprise est contrainte de dépasser le délai prévu, le client doit être prévenu dans les meilleurs délais. Cette précaution évitera bon nombre de conflits.

6. Si le client décide d’agrandir la surface d’intervention de l’entreprise en cours de chantier, il faut absolument que l’entrepreneur rédige, même à main levée, un avenant que devra signer le client pour éviter toute source de contestation lors de l’établissement de la facture finale.

7. Après les travaux, la facture doit être rédigée. C’est une obligation de l’entreprise. Elle doit reprendre l’énoncé du devis et lister les travaux complémentaires réalisés en des termes clairs et compréhensibles par le client. 

8. Lorsque sur un devis l’entrepreneur stipule une marque, un format ou une couleur, il est important de respecter ces engagements. En cas de changement de produit ou de marque demandée par le client en cours de réalisation du chantier, l’entrepreneur doit le stipuler par écrit.

9. A la fin des travaux, il faut établir un procès verbal de réception si possible en même temps que la facture finale. Cette réception génère le point de départ des garanties de parfait achèvement et des garanties décennales.

10. L’entreprise devra avant tout respecter les règles de l’art lors de l’exécution des travaux. En cas de doute sur la réalisation ou la fabrication d’une de ses tâches, elle doit se rapprocher d’un bureau d’étude ou d’un cabinet de professionnels qui devra fournir une réponse écrite.

Malgré tout, si pour différentes raisons le client vous entraîne dans la ronde des experts, il est important de prouver votre bonne foi en fournissant des écrits (devis, factures, réceptions, courriers divers, plannings, etc.).

Pendant l’expertise en assurance ou judiciaire, il est important :

1. D’avoir préparé son dossier,
2. D’être présent,
3. D’être actif dans les discussions,
4. De ne jamais se moquer de l’expert car c’est lui qui va rédiger un rapport,
5. De ne jamais bousculer verbalement l’expert,
6. De ne jamais partir en cours d’opération d’expertise,
7. De vous faire représenter par un avocat maîtrisant le droit de la construction si l’affaire est importante (ils sont peu nombreux, il faut alors faire attention au choix),
8. De se faire représenter par un autre expert si l’entreprise ne se sent pas de taille à affronter un expert.

Important pour conclure

Aujourd’hui, il y a plusieurs types d’experts : privés, d’assurances et judiciaires. Quand l’entreprise de bâtiment souhaite se faire représenter, il est important qu’elle choisisse un expert qui soit absolument neutre par rapport au système des assurances. Dans le cadre d’une expertise judiciaire, il faudra aussi s’assurer du fait que l’expert ne réalise pas d’expertise en assurance. Si cela s’avère le cas, il sera nécessaire de dénoncer avec votre avocat cette démarche et faire nommer un nouvel expert, qui lui, sera neutre. 

Pour éviter les galères 

La réception des travaux est une étape trop souvent sous-estimée des artisans. Bâclée, elle peutentraîner des conséquences désastreuses…

La loi du 4 janvier 1978 a donné à la réception des travaux une importance particulière puisqu’elle devient le point de départ de l’ensemble des garanties, qu’il s’agisse de la garantie de parfait achèvement, de la garantie de bon fonctionnement ou de la responsabilité décennale, même en cas de réserves. C’est pour cette raison qu’il est très fortement conseillé d’établir un procès-verbal pour disposer d’une date ‘’certaine, précise et incontestable’’. Trois éléments définissent cette étape cruciale. La réception est un acte juridique unilatéral, par lequel le maître d’ouvrage déclare réceptionner l’ouvrage avec ou sans réserves. Cette réception est prononcée à la demande de la partie la plus diligente et, dans ce cas, il s’avère que c’est l’entrepreneur qui a le plus intérêt à être rapide. Enfin, elle doit être prononcée contradictoirement entre le maître d’ouvrage et l’entreprise. En effet, l’artisan est en droit d’exiger d’assister aux opérations de réception et d’être dûment convoqué par le maître d’ouvrage, pour fournir toute précision ou éclaircissement qui pourrait s’avérer utile. Si le maître d’ouvrage sollicite la réception, puis que chaque partie signe, elle devient effective s’arrête là. C’est la réception expresse. Il s’agit d’une manifestation expresse de la volonté du maître de l’ouvrage, qui correspond à la forme normale de la réception. Démarrage des différentes garanties, elle permet à l’artisan de s’éviter un contentieux long et aléatoire, qui peut gêner la gestion de son entreprise. La date de la réception est dans ce cas très précise.

De la réception expresse à la réception judiciaire

Il se peut aussi que l’entreprise ne vienne pas ou refuse de signer le procès-verbal de réception. Le maître d’ouvrage le signe, que l’entreprise soit présente ou non, mais à deux conditions : Il doit avoir convoqué l’entreprise par lettre recommandée (c’est le caractère contradictoire), et il doit avoir notifié à l’entrepreneur le procès-verbal de réception avec les réserves, en recommandé. D’autres cas peuvent se présenter comme celui où l’entrepreneur sollicite le maître d’ouvrage. Si ce dernier se déplace et signe le procès-verbal de réception, cette dernière est prononcée, même avec des réserves. S’il ne vient pas ou refuse de le signer, il n’existe pas d’autre solution que de passer par une réception judiciaire. Celle-ci intervient à la demande d’une des deux parties (maître d’ouvrage ou entrepreneur) et dès lors que l’une des parties refuse de réceptionner. C’est le juge des référés qui est alors saisi et désigne à son tour un expert judiciaire. L’objectif est de fournir au tribunal des éléments pour affirmer si la réception peut être prononcée, avec ou sans réserves. Si l’ouvrage ne peut pas être réceptionné en l’état, l’entreprise de travaux paie l’expert et les travaux à réaliser avant d’être convoquée à nouveau. Si l’ouvrage est réceptionnable, avec réserves, le maître d’ouvrage peut signer le procès-verbal avec réserves. S’il ne le veut pas, la réception est alors judiciaire et l’entrepreneur peut saisir le tribunal de grande instance, seul compétent pour statuer sur la réception. En effet, un refus de réception ne peut se justifier que par un inachèvement de l’ouvrage et des imperfections légères n’autorisent pas le maître de l’ouvrage à prononcer la réception.

Une mauvaise habitude

Finalement, la réception tacite, par prise de possession, devient malheureusement la règle. Très souvent, trop souvent, ce type de réception est privilégié par méconnaissance ou facilité. Pour la Cour de Cassation, la réception tacite par prise de possession n’existe que lorsqu’il y a une volonté non équivoque du maître d’ouvrage de réceptionner. L’entrée dans les lieux est exigée mais d’autres éléments importent : Le paiement intégral du prix du marché, la remise des clés et la prise de possession, l’absence de réserves nombreuses et importantes, un constat d’huissier… Cette solution peut s’avérer très dangereuse pour l’entrepreneur. Pour plusieurs raisons. Si le procès-verbal n’est pas en lui-même une condition de l’existence de la réception, il constitue une preuve pour l’entrepreneur en cas de litige. Sans le procès-verbal, il est fortement conseillé à l’artisan de conserver tout document de nature à établir cette prise de possession par le maître d’ouvrage.

La réception est un moment clé ; elle purge les vices apparents, met fin au contrat sauf pour les réserves, et constitue, on ne le dira jamais assez, le point de départ des garanties de parfait achèvement, garantie décennale, responsabilité civile… Pour un entrepreneur, se lancer dans une procédure judiciaire peut s’avérer totalement suicidaire, tant financièrement que psychologiquement, et mieux vaut une bonne fois pour toutes systématiser le procès-verbal de réception.

Les articles clés

L’article L. 111-19 du code de la construction et de l’habitation ainsi que l’article 1 792-6 du code civil constituent les piliers de la réception des travaux.

Exigez la réception

Considérez qu’un chantier n’est jamais terminé tant que vous ne disposez pas d’un procès-verbal de réception signé du maître de l’ouvrage.
L’artisan a tout intérêt à demander systématiquement la réception, par lettre recommandée si nécessaire.

Les sous-traitants sont exclus du système de réception. En pratique, rien n’interdit à un entrepreneur de convoquer ses sous-traitants le jour de la réception.

Réserves : Négociez les délais

En cas de réserves, un délai est souvent nécessaire pour réaliser les travaux de réparation. Il est conseillé à l’artisan de fournir les raisons (techniques, organisation de chantier…) qui justifient la durée de ce travaux. Il arrive, hélas, que des entrepreneurs acceptent des délais trop courts sans pouvoir les tenir. L’entrepreneur et le maître de l’ouvrage signent un accord (les deux signatures sont alors obligatoires, contrairement au procès-verbal de réception), portant sur les réserves, non contestées par l’entrepreneur, et sur le délai d’exécution des travaux à réaliser. Quand l’entrepreneur a exécuté les travaux destinés à faire lever les réserves, et que le maître d’ouvrage donne son accord, l’artisan doit proposer à celui-ci de signer le constat de levée de réserves. Attention : Le maître d’ouvrage peut être sanctionné par les tribunaux s’il s’oppose de façon abusive à la levée des réserves. Mieux vaut, pour se protéger dans un contexte tendu, adresser au maître d’ouvrage une lettre de notification de l’exécution des travaux en lettre recommandée avec avis de réception.

Attention à la remise des clés

Le seul à devoir obligatoirement réceptionner est le maître d’ouvrage. Par maître d’ouvrage, on entend propriétaire du terrain ou de l’immeuble. Dans le cas d’opérations de promotions immobilières, en ‘’vente futur en l’état d’achèvement’’ (VEFA), les artisans commettent parfois quelques confusions entre le vendeur (le promoteur) et l’acquéreur.

Ainsi, il peut y avoir remise des clés sans réception, même si l’entreprise soutient qu’à partir de la remise des clés, la réception est tacite. Par exemple, un promoteur n’est pas satisfait de la livraison d’une opération de logements. Même après la remise des clés, le promoteur garde la qualité de maître d’ouvrage.

A quoi sert la réception ?

Qu’elle soit ou non accompagnée de réserves, la réception est nécessaire. Pourquoi ?

Elle arrête le cours du délai d’exécution.
Elle couvre les malfaçons et les défauts de conformité apparents s’ils n’ont pas fait l’objet de réserves.
Elle entraîne le transfert au maître de l’ouvrage de la garde de l’ouvrage et des risques attenants.
Elle rend exigible le solde des travaux.
Elle constitue le point de départ de la garantie de parfait achèvement et des garanties légales.
Elle constitue le point de départ du délai de restitution de la retenue de garantie ou de libération de la caution.

Dédramatiser le procès-verbal

Il est normal qu’un maître d’ouvrage réceptionne son ouvrage et le mentionne sur un procès- verbal, même en cas de réserves. Il arrive souvent que le maître d’ouvrage refuse de signer un procès-verbal, de crainte d’être alors privé des garanties qu’il tient du contrat avec une entreprise. Il pense abandonner purement et simplement ses droits ! Or, c’est exactement du contraire dont il s’agit. C’est en remplissant un procès-verbal, signé et daté, qu’il sera éventuellement en mesure de mettre en jeu son assurance dommages-ouvrage.