Si chacun connaît la célèbre maxime « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » qui, en revanche, pense également à la prudence requise en toutes circonstances ?
A l’heure de la révolution numérique et de la concurrence à tout va l’entrepreneur est partout et doit répondre à tous : ses clients comptent sur sa réactivité, ses compétences techniques et son professionnalisme. Il est donc plus que jamais indispensable d’attirer l’attention du chef d’entreprise sur l’étendue tentaculaire de son devoir de conseil, étendue dont il y a fort à parier qu’il en ignore les limites… Se cantonner au respect des seules obligations découlant du contrat signé est prendre de très grands risques pouvant, le cas échéant, se traduire en procédure judiciaire, expertise, condamnation à indemnisation… avec tous les risques que cela comporte pour la trésorerie et la pérennité de l’entreprise.
Qu’est-ce que le devoir de conseil ?
Le principe ancien, repris dans la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ratifiée par la loi du 20 avril 2018 et plus précisément dans l’article 1194 du Code civil qui dispose : « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. »
« L’équité, l’usage ou la loi » : ces termes sont restés et traduisent la permanence du principe : tout professionnel – du terrassier au maître d’œuvre – est tenu avant réception à un devoir de conseil que le chef d’entreprise ferait bien de toujours avoir à l’esprit s’il veut éviter de graves déboires.
Il n’est pas excessif de parler de véritable « permanente obligation de conseil » dont la violation est susceptible d’engager sa responsabilité, par exemple dans les cas suivants tirés de situations réelles :
- du défaut de conseil quant au caractère inondable du terrain et ses conséquences sur l’habitabilité de la construction projetée ;
- de l’obligation d’informer le maître de l’ouvrage sur les conséquences des travaux envisagés ;
- de l’obligation d’informer le maître d’ouvrage et le maître d’œuvre de la présence de mérule détectée lors des travaux ;
- de l’obligation d’informer les intervenants le précédant et le maître d’œuvre des contraintes des matériaux qu’il lui est demandé de mettre en œuvre ;
- de l’obligation d’analyser les contraintes urbanistiques, particulièrement en l’absence de maître d’œuvre et de plans d’implantation ;
- de l’obligation de conseil sur la réglementation applicable ;
- de l’obligation de contrôler les quantités au regard des plans et contraintes du projet ;
- du risque lié à une reprise partielle des fondations ;
- de l’obligation de conseil renforcé en l’absence de maîtrise d’œuvre ;
- de l’obligation de conseil portant sur les prestations réalisées par le maître de l’ouvrage lui-même ;
- du devoir de contrôle de l’état de l’existant et de formulation de réserves si nécessaire ;
- du devoir de critiquer le support de son intervention s’il l’estime déficient ;
- du défaut de mise en garde des conséquences de la modification du programme initial ;
- du conseil sur les matériaux à mettre en œuvre et la nécessité de compléter le programme envisagé ;
- de l’obligation d’informer le maître de l’ouvrage des risques présentés par les travaux envisagés au regard de l’état de l’existant ;
- de l’implantation de l’ouvrage ;
- du défaut d’avertissement sur les risques de nuisances au tiers à raison de l’installation d’un extracteur d’air sur le toit de l’immeuble;
- du défaut de proposition d’adaptation du projet en considération d’inondation survenue en cours de chantier ;
- de l’absence de conseil quant aux conditions d’utilisation et de maintenance après réception.
- A la lecture de ces exemples tirés de cas réels nul doute que chacun pensera évidemment à des cas le concernant !
Risques de condamnation
La Cour de cassation va encore plus loin puisqu’elle admet également la condamnation du professionnel pour manquement à son devoir de critique, par exemple au sujet de :
- la nécessité de recourir à un maître d’œuvre ;
- la nécessité d’un permis de construire ou de son respect ;
- l’insuffisance des travaux envisagés ou des matériaux choisis ;
- du nécessaire devoir de critique des plans ou des matériaux qui lui ont été fournis par le maître de l’ouvrage ;
- des choix de la maîtrise d’œuvre ou des constatations de l’expert judiciaire servant de base aux travaux de reprise (on peut toutefois s’interroger ici sur la pertinence de cette extension de responsabilité alors qu’un expert judiciaire faisant autorité a été désigné pour préconiser des solutions réparatoires…) ;
- du devoir de refuser l’exécution de travaux non conformes et dangereux ;
- critique du support réalisé par un autre colocataire, mais non de procéder à des sondages destructifs pour vérifier l’existence de l’étanchéité ou encore obligation de souligner les risques liés à l’absence de traitement préalable du support ;
- de la nécessité d’analyser l’existant et devoir d’adaptation et de critiques du projet envisagé s’il y a lieu ;
- de l’obligation d’avertir le maître de l’ouvrage, pourtant titulaire d’un CAP en bâtiment, des risques induits par l’interruption du chantier pendant de nombreux mois ;
- de l’obligation d’avertir le maître de l’ouvrage des risques induits par l’absence de relevé topographique. (*)
On le voit, les décisions prononcées par les magistrats ne laissent plus qu’une seule place à l’irresponsabilité de l’entrepreneur : la véritable cause étrangère qui ne lui aurait pas permis de parvenir à l’obligation de résultat à laquelle il est tenu.
« L’entrepreneur sera bien avisé de toujours laisser des traces écrites »
Comme en matière de responsabilité décennale, la jurisprudence française renforce sans cesse la protection du maître d’ouvrage, a priori profane et bien souvent en situation d’infériorité économique face à l’entreprise prestataire.
Dans cette mesure, l’entrepreneur sera bien avisé de toujours laisser des traces écrites destinées à prouver si besoin qu’il a bien exercé son devoir de conseil et ne saurait être tenu pour responsable des dommages ultérieurement survenus. Confirmer les points essentiels d’une conversation par un écrit rapide auprès du maître d’ouvrage ou des sous- traitants est une habitude à prendre : elle permettra d’éviter bien des difficultés à l’entreprise et même plus : temps perdu, frais de justice, stress… Autant d’énergie et de chiffre d’affaires envolés bien inutilement !